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Herbert Nitsch : L’inspiration « No Limit Â»

Lorsqu’un pilote de ligne plonge dans l’univers de l’apnée, il fait immédiatement des vagues. Mais lorsqu’il réinvente son sport à force d’innovations, la concurrence se noie dans les records du monde. Il en a battu 31 au total.

 

De l’air à l’eau

Pilote pour la compagnie « Austrian Airlines », Herbert Nitsch est tombé dans les profondeurs par accident : lors d’un séjour de plongée en 1999 prévu avec bouteilles, ses bagages sont perdus pendant le voyage, ce qui l’oblige à se rabattre sur du snorkeling : la nage avec un masque et un simple tuba. Il commence par descendre à 5 mètres, 10 mètres, puis se prend au jeu et finit par atteindre une quarantaine de mètres. De retour en Autriche, il s’entraîne dans son salon et s’inscrit assez rapidement à une compétition. La corde servant à mesurer la distance parcourue sous l’eau fait 100 mètres. Il demande naïvement pourquoi elle est si courte ! On la rallonge en riant, mais Nitsch sort la tête de l’eau au bout des 120 mètres, remportant le concours avec une large marge. Loin d’appliquer la méthode « New age » de Jacques Mayol – le premier à descendre sous les 100 mètres de profondeur qui s’imaginait notamment plongeant avec des dauphins – l’autrichien met au point une méthode personnelle et des innovations pour atteindre son objectif principal : survivre !

 

Des compétitions à couper le souffle

Il existe de nombreuses catégories de compétitions : la plongée à la seule force des bras et des jambes, celle avec des palmes, avec une corde, avec une gueuse… La plupart des participants flirtent avec leurs limites et il n’est pas rare de devoir les repêcher inconscients à quelques mètres de la surface ou de les voir perdre connaissance une fois la tête sortie de l’eau. Un juge observe d’ailleurs si le plongeur respecte un protocole précis : pour avoir confirmé deux fois au lieu d’une qu’il était « ok », Herbert Nitsch s’est ainsi vu refuser un record du monde. Dans ces conditions, on peut imaginer que le champion Autrichien habite au bord de la mer et qu’il passe ses journées dans l’eau pour apprivoiser le « no man’s land » de ses exploits. Pas du tout. En réalité, il habite en Autriche, s’entraîne essentiellement sur son canapé, de préférence avec les poumons vides pour simuler la profondeur et déclare « ne jamais aller à la piscine, sauf pour bronzer ! ». Il assouplit son diaphragme pour limiter le risque d’une lésion aux poumons. Lors de ses tentatives de records, il lui suffit d’une à deux semaines d’entraînement dans la mer pour finaliser sa préparation. Nitsch a inventé cette méthode car au début, il n’avait tout simplement pas le temps d’aller à la mer. Elle est basée sur le fait que le réflexe de plongée existe en chacun d’entre nous et qu’il suffit de le réveiller pour profiter des extraordinaires capacités d’adaptation du corps humain. Ses concurrents estiment qu’elle ne fonctionne que pour lui. C’est sans doute le mental qui différencie les plongeurs « normaux » du prodige Autrichien : son approche froide et méthodique lui permet de repousser sans cesse les limites.

 

Gestion des risques

La plongée « no-limit » est un des sports les plus dangereux au monde, juste devant l’ascension de l’Everest sans oxygène. Âmes sensibles, évitez d’aller visionner des vidéos sur Youtube. Au moindre pépin, vous êtes condamné. C’est peut-être ce qui attire ces plongeurs extrêmes : flirter avec la mort pour mieux réaliser la valeur de la vie. Au fond de l’eau, leur cœur ne bat plus qu’à 10 pulsations par minute. Un fil ténu qui retient le plongeur à la vie. Il faut par exemple environ 4 minutes trente pour établir un record no-limit, or avec la compression, le plongeur doit être capable de tenir le double du temps sous l’eau. La moindre seconde perdue au fond peut être fatale. On ne compte plus les décès ou les accidents de décompression qui ont rendus hémiplégiques ses téméraires pratiquants. D’un côté des trompes la mort comme Francisco « Pipin » Ferreras, une star de la discipline, ont souvent été sortis de l’eau inanimés à cause d’une approche totalement irresponsable : matériel sommaire, gestion des risques inexistante… Plusieurs de ses plongeurs de sécurité sont morts et sa propre femme, Audrey Mestre, est décédée pendant une tentative de record du monde hasardeuse. Ferreras mettra de longues minutes à hisser son épouse à la seule force des palmes. « Il devrait être en prison » commente Herbert Nitsch. Il risque toutefois d’être bientôt au cinéma, car James Cameron, le réalisateur de « Titanic » projette de consacrer un film à cette histoire d’amour tragique. Loïc Leferme, le précédent détenteur du record du monde était quant-à-lui un maniaque de la sécurité. Son décès a été causé par une défaillance technique. Herbert Nitsch a dans ce domaine plusieurs longueurs d’avance : il a par exemple dessiné une gueuze hydrodynamique qui lui permet de remonter plus vite. Il se paye ainsi le luxe de s’arrêter plusieurs dizaines de secondes à 10 mètres sous la surface pour optimiser sa décompression avant de refaire surface. Il commente : « Le gilet « gonflable » qui vous ramène vers l’air libre ? C’est dangereux ! Loïc l’utilisait parfois. Le problème, c’est que dans les profondeurs, il vous hisse lentement vers le haut, puis près de la surface. C’est exactement l’inverse de ce qu’il faut obtenir. Parfois ce qui vous semble sécurisé ne l’est pas ».

 

Innovations profondes

Sa plus belle innovation fait la part belle à un fabriquant de soda. « La pression s’exerce sur tout ce qui est vide : les poumons, le nez et les oreilles ». Pour déjouer ce piège, l’autrichien débute sa plongée avec une bouteille de 1,5 litres pleine d’eau. Il s’immobilise à moins 30 mètres pour la remplir avec l’air de ses poumons, qu’il peut ensuite siroter pendant le reste de la descente. Ce procédé a été homologué, car le plongeur utilise exclusivement l’air qu’il a inspiré avant d’amorcer sa plongée. La portée de cette invention est comparable avec la technique de saut en hauteur introduite par Dick Fosberry en 1967 : Herbert a fait passer d’un coup le record de 175 à 214 mètres, soit 700 pieds. Il annonce désormais ses intentions : 800, 900 et 1 000 pieds, soit 245, 275, et 305 mètres. C’est dans cette optique qu’il a démissionné de son poste de pilote de ligne en novembre dernier.

 

La course aux records

Un record risque de coûter la vie du plongeur, mais il nécessite également un budget de 250 000 euros. Cette somme sert à financer la fabrication d’une gueuze optimale, toute la sécurité et la logistique nécessaire. Le champion a déjà réussi à attirer des sponsors, dont notamment Tag Heuer, mais il consacre désormais du temps pour trouver d’autres partenaires. « Les records seront battus au rythme des signatures ». On peut s’étonner de ne pas voir Red Bull, créée par Dietrich Mateschitz, un compatriote de Nitsch. Il suffirait de mettre en avant une bouteille de 1,5 litres de la boisson énergétique pendant la plongée ! Une certitude : avec le charisme et l’approche atypique d’Herbert Nitsch, ce sport a toutes les chances de sortir des profondeurs médiatiques où il a sombré depuis le succès du film le Grand Bleu.

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