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PAUL BOCUSE :

LE GARDIEN DU TEMPLE

LE RESTAURANT « PAUL BOCUSE » A COLLONGES AU MONT D’OR CÉLÈBRE 49 ANNÉES AURÉOLÉES PAR 3 ÉTOILES MICHELIN : UN RECORD.
LA RECETTE DE CE SUCCÈS ? ANDY A MENÉ L’ENQUÊTE SUR PLACE. 

AMUSE BOUCHE

Dans un article de 1986, le New York Times illustrait l’article “To Lyons for lunch” avec une photo de Paul Bocuse achetant des fruits et légumes chez Fressenon, son fournisseur depuis 1951. Aujourd’hui, la famille Fressenon livre toujours quotidiennement Monsieur Paul et c’est Jacques qui résume l’œuvre majeure de son fidèle client : « Il nous a apporté la reconnaissance ». Cette évidence pour les maraîchers est d’autant plus vraie pour les chefs du monde entier : Bocuse leur a offert des lettres de noblesse en les sortant de leur cuisine. Longtemps relégués aux rôles de simples employés dans des cuisines crasseuses et surchauffées, ce sont aujourd’hui des stars, bien souvent propriétaires de leur établissement ! 

UN NOM

Il faut voir Paul Bocuse devant sa collection d’orgues « Limonaire » pour reconnaître le P.T Barnum qui sommeille en lui. Il a le sens de la fête et perpétue l’essence d’un bon repas : des amis, de l’ambiance, des plats succulents et des histoires ! Jamais un Chef n’avait atteint une telle longévité : en 1965, quand Paul Bocuse reçoit sa troisième étoile, de Gaulle avait encore 4 années de Présidence devant lui. Est-ce d’ailleurs un hasard si Monsieur Paul ressemble à l’illustre Général dans sa manière contagieuse de porter haut les cou- leurs de Collonges, de Lyon, de la France et de ses talents ? Ses détracteurs le prennent pour un mégalomane : c’est faux. Il faut remonter le temps pour comprendre. La famille de Monsieur Paul officie dans la cuisine depuis 1765, date à laquelle la femme de son aïeul, meunier, faisait à manger pour les paysans des bords de Sâone. Au début du XXe siècle, leurs descendants exerçaient à l’Abbaye de Collonges, mais dans les années vingt, le grand-père de Paul vend le restaurant et le nom « Bocuse » sur un coup de tête. Son fils, Georges, s’installe dans l’Auberge de Collonges qui appartient à la famille de son épouse, Irma, à trois cents mètres à peine. Sa vie entière, il sera privé de son nom et c’est le succès de son enfant, Paul, qui permettra de racheter en 1966 l’Abbaye et son nom. Cela valait bien une mise au point en majuscules sur le toit de l’Auberge ! Et si son portrait est omniprésent à Collonges, c’est qu’il a compris avant Ducasse qu’il est possible de faire fonctionner un restaurant sans être systématiquement présent en personne. 

 

« Bien faire un travail prend autant de temps que pour le faire mal. Autant bien le faire. »

Paul Bocuse

L’EXPÉRIENCE

Pour peu que vous soyez un peu préparé, voir arriver la soupe aux Truffes VGE, le let de sole Fernand Point ou la volaille de Bresse en vessie « Mère Fillioux » crée une excitation comparable à la rencontre avec un tableau célèbre dans une galerie du Louvre. Le plus récent de ces monuments culinaires remonte à 1975. Et comme pour la Joconde, ces plats réussissent l’exploit de traverser les générations : l’art contemporain passe ; l’homme mûrit ; les chefs d’œuvres demeurent. Imaginez le plaisir des amateurs capables de déguster à nouveau les plats de leur enfance ou de leur premier dîner en amoureux. Une véritable madeleine de Proust, de luxe. Contrairement à un Musée austère, le restaurant de Collonges est un lieu haut en couleur – à l’image du bâtiment rouge et or (et vert !) – où l’équipe de salle est aux petits oignons sous la houlette de François Pipala, Meilleur Ouvrier de France des Arts de la Table. Il faut le voir couper une volaille pour réaliser que même ces gestes simples peuvent être élevés au rang d’arts martiaux. L’ambiance est tellement conviviale que la Maison parvient à réunir sous le même toit de véritables gastronomes, des businessmen, des Lyonnais, des touristes, des sommités diverses et des visiteurs qui ont cassé leur tirelire pour fêter un anniversaire. Au moment de l’addition, chacun y trouve son compte, à partir d’environ 200 euros par personne, vin compris pour une expérience extraordinaire.

UN BUSINESS

Le « Business Model » de Paul Bocuse à Collonges est simple à résumer : il est ouvert 365 jours par an. Pour réaliser ce tour de force, l’équipe capitalise sur 4 grands principes : 1. Un produit parfait : une cuisine traditionnelle et festive exécutée à la perfection par des as des fourneaux et présentée dans des assiettes généreuses, faciles à comprendre, « Avec des os et des arêtes » comme aime le répéter Monsieur Paul. 2. Un marketing puissant : en planche à voile devant le restaurant pendant des inondations ou en couverture des magazines du monde entier, le Chef a compris très tôt que le bouche-à-oreille ne suffisait pas pour faire tourner une affaire comme la sienne. Il déclare souvent le sourire aux lèvres : « le Bon Dieu est bien connu mais il fait quand même sonner les cloches par son curé ». 3. Une règle d’or : le client est (vraiment) roi. Il aurait été difficile de répliquer cette ambiance familiale à Paris ! 4. Une diversification maîtrisée : Bocuse se déguste jusqu’en Floride ou à Tokyo, mais selon une approche très précise : l’essentiel est à portée de main. Monsieur Paul habite au premier étage de l’Auberge du Pont où il est né. L’Abbaye où il organise les réceptions est à trois cents mètres, ses 7 restaurants et brasseries sont tous à Lyon, tout comme son Hôtel DockOuest et ses deux fast foods à la Française : Ouest Express. Le Grand Chef peut visiter les 10 adresses dans la même journée. Pour le reste, son fils Jérôme gère le restaurant géant de l’Epcot Center en Floride et les licences au Japon sont aux mains d’Iramatsu, un chef auréolé de 2 étoiles à Paris. Le groupe génère plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et une forte rentabilité. Tant pis si le restaurant n’est pas rempli le 2 janvier. CQFD. 

CULTURE MOF

Paul Bocuse n’hésite pas si vous lui demandez de citer sa plus belle réussite : « Mon titre de Meilleur Ouvrier de France » (MOF). Les chefs honorés par ce titre portent les couleurs bleu-blanc-rouge au col de leur tablier ou de leur veste. C’est un concours extrêmement sélectif organisé tous les 4 ans. À Collonges, la culture MOF règne : Christophe Muller, le Chef exécutif a fait partie des gagnants à 27 ans à peine – un record – et décrit cette culture d’excellence, quasi militaire : « Chacun est encouragé à fonctionner au maximum de son potentiel ». Monsieur Paul est un général parfait, capable de laisser tomber un papier pour voir qui va le ramasser ; accueillant ses troupes à 6 h 30 ; insistant sur la propreté des tabliers et des souliers et n’hésitant pas à commencer par visiter les poubelles d’un restaurant qu’il va visiter. Jean Fleury, l’homme de confiance qui a imaginé et mis en place les brasseries est bien entendu un MOF. Reconnaissance suprême, ils sont plusieurs à figurer sur la fresque géante qui vous accueille à l’entrée du restaurant, aux côtés des Point, Brazier, Troisgros, Carême et autres pointures mythiques. Paul Bocuse a récemment ouvert le capital de Naxicap Partners, la société propriétaire de ses brasseries. Qui a été invité à investir ? Ses MOF bien sûr.

MIGNARDISES

Un mot pour conclure sur les plateaux de fromages et de desserts. Une avalanche de tentations gargantuesques en multiples exemplaires, qui rappellent que pour nos aïeux, manger à sa faim n’était pas une évidence. Une visite au restaurant constituait un événement majeur dans les familles et il convenait de s’en mettre plein la panse. L’île ottante à elle seule, de part sa taille géante et sa décoration colorée exhuma les sensations enfouies de ses premiers gâteaux d’anniversaire à l’auteur de ce texte : un âge où on se sent tout petit et très heureux devant son assiette. Monsieur Paul n’a peut-être rien inventé, mais il a réussi à transmettre l’essentiel d’une cuisine française unique en son genre : « La France a les meilleurs maraîchers, les éleveurs, les pêcheurs, et Lyon est son garde-manger ». Cerise sur le gâteau, il a réussi ce tour de force extraordinaire sans renier ses glorieux maîtres : Fernand Point, Eugénie Brazier ou l’illustre Escofier. Sans se renier lui même non plus. À ses détracteurs, qui demandent qui cuisine quand il n’est pas là, il répond du tac au tac : « Les mêmes qui cuisinent quand je suis là ». S’il garde un temple, c’est celui d’une gastronomie française ancestrale et inimitable. Un vrai marchand de bonheur.

L’HÉRITAGE

À l’heure de préparer « la suite », Paul Bocuse laisse en plus de son groupe un Institut de formation, une fondation et un prix prestigieux : le Bocuse d’Or. Soucieux de tout contrôler, il a déjà publié sa succulente biographie, il y a 10 ans ! Son fils n’a pas prévu de rentrer des États-Unis. Les équipes en place semblent capables de perpétuer son nom et la tradition qu’il a simplement transmise. Les familles de son ami Bernard Loiseau ou de son mentor, Fernand Point ont déjà réussi ce tour de force avant lui. Monsieur Paul a survécu à trois balles Nazies pendant la guerre et à un triple pontage en 2004 : « Je ne sais pas, on verra » conclut-il avec le bon sens terrien qui le rend si attachant.

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